Cuisiner une conversation à la perfection nécessite un certain savoir-faire et plusieurs ingrédients. Parmi eux, l’écoute, l’empathie, la résonance, la confiance, la réactivité, les relances pertinentes et un questionnement adéquat vous permettront d’échanger de manière respectueuse. 

 

 

La conversation semble la chose la plus banale et naturelle du monde. Elle commence dès les premiers mois de son existence par un babillage incompréhensible auquel les parents s’empressent de répondre. A mesure que le vocabulaire s’enrichit, la conversation se précise. A la maison, puis à l’école et enfin dans la (vraie) cour des grands ! Contrairement aux apparences, converser est un art qui demande certaines qualités...

Ecouter encore et toujours

 L’écoute constitue certainement la première qualité pour converser. Montaigne ne disait-il pas « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute » ? Pourtant, cela ne va pas de soi. « On éprouve spontanément davantage de plaisir à parler qu’à écouter », constate le philosophe et anthropologue François Flahaut. Monopoliser la conversation, explique-t-il, serait un défaut récurrent qui dissimulerait le désir d’exister, voire un désir de pouvoir. Evidemment, lorsque l’on parle trop, on ennuie les autres… Qui bien sûr n’écoutent plus. La boucle est bouclée ! 

Certains profils d’individus ont par nature du mal à écouter, même des locuteurs peu bavards. « L’écoute est un devoir moral, mais elle peut devenir une source de plaisir et de satisfaction quand elle permet de découvrir quelqu’un, de comprendre une idée » rassure le philosophe avant d’inciter à mesurer son propre temps de parole car « nous avons tendance à sous-évaluer le temps durant lequel nous parlons »

Des  guerres ont éclaté, des fortunes ont été perdues et des amitiés détruites par manque d’écoute, rappelle Kate Murphy. Si l’autrice du livre You’re Not Listening : What You’re Missing and Why It Matters plébiscite l’écoute pour s’engager, comprendre, sympathiser, coopérer,… bref développer des qualités d’être humain, elle insiste sur le fait que l’écoute doit aller au-delà de ce que les gens disent. « Cela implique aussi de prêter attention à la façon dont les gens le disent, à ce qu’ils font pendant qu’ils sont en train de le dire, dans quel contexte ils le disent et enfin comment ce qu’ils disent résonne en vous », énumère-t-elle. Cette écrivaine a également remarqué que ceux qui écoutent bien, posent de bonnes questions. Une qualité plutôt utile pour les journalistes ! Qu’est-ce qu’une bonne question ? « Une question curieuse dans le bon sens du terme, qui n’a pas pour objectif caché de réparer, enregistrer, conseiller, convaincre ou corriger. L’idée est d’explorer le point de vue de l’autre personne, pas de l’influencer », répond Kate Murphy.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un auditeur attentif doit être actif ! Lors d’une conversation, celui qui écoute passe son temps de silence à « traquer dans le discours de l’autre les éléments qui nous permettront de réagir de manière appropriée en respectant le bon timing », remarquent Roxane Bertrand, chargée de recherche CNRS, linguiste et analyse des Interactions à l’université Aix-Marseille et Noël Noël Nguyen, Professeur à Aix-Marseille. « D’autres marques explicites évoquant « l’art de la conversation » renvoient aux « mhhh »,  aux « ok », aux mouvements de tête ou de sourcils qui remplissent nos conversation, ajoutent-il. Cette impression est liée au fait que ces items de feedbacks sont loin d’être de simples réactions anarchiques et désordonnées. De fait, ils font système, et ne dérogent pas aux règles et principes de la conversation. Ils reflètent la coopération entre les participants et influent sur la progressivité du discours ». Et de conclure que “notre récit est de meilleure qualité lorsque l’interlocuteur contribue activement, via ses différents feedbacks, à son élaboration ».

Nous l’aurons compris, il faut apprendre à bien écouter… Y compris ceux dont on ne partage pas le point de vue. Il est dommage qu’une phrase aussi pertinente que : « ça fait longtemps que je n’ai pas été impressionné par quelqu’un avec qui je suis autant en désaccord ! », ne s’entende plus que dans les films ! (saison 4 de la série Dix pour Cent). « Donnons-nous la possibilité d’écouter des opinions radicalement différentes des nôtres pour construire des désaccords féconds (…), enjoint Martin Serralta, prospectiviste à l’Institut des Futurs Souhaitables. Prendre le temps d’écouter un avis qui nous parait fondamentalement idiot est difficile. Pourtant c’est à cet endroit même que se trouvent des pépites qui nous permettront d’avancer »

Mettre l’autre sur un pied d’égalité

Pour accepter de partager ses pensées et idées,  il faut se sentir « au même niveau » que son locuteur. Le principe d’égalité dans la conversation ne date pas d’hier ; il remonte au XVIIIème siècle. Au siècle des Lumières, « la naissance, la condition, le statut social ne permettent plus la distinction : seule la valeur de l’apport individuel reconnue par les pairs peut la justifier. Le travail collectif, pour être rigoureux et efficace, doit donc faire fi des provenances sociales », apprend-on dans le travail de recherche de Mélinda Caron sur les Conversations d’Émilie, de Louise d’Épinay. Aujourd’hui encore, cet « idéal d’égalité » doit sous-tendre le mode de communication conversationnel. Toute stratégie destinée à convaincre, contrôler ou même obliger l’autre à adhérer à son point de vue mènera automatiquement à l’échec. Certaines questions trop personnelles ou relatives à l’activité professionnelle également. Pour éviter que certains complexes d’infériorité ne brisent la discussion avant même qu’elle n’ait débuté, le co-fondateur du Social Bar, Renaud Seligmann, a mis au point un « badge de la convivialité » que chacun porte collé dans le dos. Y figure juste le nom, le prénom et la réponse aux deux questions du jour. « Ainsi, on peut commencer à se parler sans passer par ‘’qu’est-ce que tu fais dans la vie’’, la question que beaucoup craignent », justifie-t-il. 

 

La méthode du design thinking peut également aider à mettre tout le monde à l’aise dès le début. Sa première phase – celle dite de l’inspiration – consiste à collecter un maximum d’informations relatives au problème posé et issues de toutes les sources possibles. Or, comme le faisait remarquer Matthieu Perrin à l’époque où il était responsable du Marketing Innovation Lab au sein du groupe AccorHotels, bien souvent, cela suppose d’observer le terrain : « Quel que soit son métier de base, c’est très utile d’aller sur le terrain. Ça permet de gommer les idées préconçues et de remettre tout le monde à égalité. »

 Respecter l’autre, soi et la conversation

 La conversation peut-elle changer le monde ? A cette question, la fondatrice de l’agence de communication Tous les mots, Françoise Moulin, répond du tac au tac : « Oui bien sûr ! La conversation apprend la tolérance et le respect mutuel. Cela passe par des choses aussi simples que ne pas se couper la parole, faire attention à ce que dit l’autre et même qui est l’autre, ce qui l’a façonné, ses fragilités, ses rêves, etc. » Chargée d’accompagnement socio-professionnel, Anne-Sophie confirme l’importance d’être attentif à l’autre : « Mes interlocuteurs sont parfois dépressifs et n’osent pas me le dire. Il faut que je le sente et que j’adapte mes propositions. Je représente une institution, et il ne faut pas qu’ils ressentent une pression. Le lien de confiance compte beaucoup pour moi. »

Au même titre qu’il est essentiel de respecter l’autre dans sa dimension de locuteur, il est tout aussi impératif de se respecter soi. C’est ce que les auteurs du best seller Conversations cruciales appellent « écouter son coeur », autrement dit rester concentré sur ce que l’on veut vraiment. Pour parvenir à cet objectif, ils suggèrent de clarifier ce que l’on ne veut pas, puis de l’ajouter à ce que l’on veut, et enfin de demander à notre cerveau « de commencer à chercher des options salutaires susceptibles de favoriser le dialogue ».

Le respect de l’autre et de soi impose parfois de modifier, dévier, changer le rythme, ou même interrompre la conversation si celle-ci bascule, afin de rétablir la zone de sécurité. « Le premier réflexe utile est de se dire STOP, il ne sert à rien de continuer sur ce point. Il faut s’écarter du sujet et remettre de la sécurité, remettre l’autre en confiance avec un certain nombre d’outils pour rester dans le dialogue, dans une conversation avec un objectif commun et des marques de respect. C’est seulement quand ces conditions sont à nouveau en place qu’il est possible de revenir sur le point abordé au départ », précise Cathia Birac, co-associée d’Axel Performance, qui détient l’exclusivité de la franchise Conversations cruciales en France. Pour remettre son interlocuteur en confiance, les auteurs du best seller suggèrent de respecter les étapes suivantes :

– Identifier la « condition menacée » (l’interlocuteur doit être rassuré sur le fait que vous vous souciez de ses objectifs et que vous le respectez) ;

– S’excuser au moment opportun ;

– S’exprimer par contraste pour régler les malentendus (commencez par expliquer ce que ne sont pas vos intentions puis clarifiez-les) ;

– Chercher à atteindre un but commun.

S’observer ou maîtriser les histoires que l’on se raconte

Des histoires, nous nous en racontons à longueur de journée. Unetelle n’a pas répondu aussi vite que vous le souhaitiez à votre question ? C’est sûr, elle en a après vous ! Untel a un peu trop monopolisé la parole durant la présentation du projet ? Il veut vous faire de l’ombre. Les auteurs de Conversations cruciales mettent en garde contre ces interprétations dictées par nos émotions. Trop souvent, ces dernières nous prennent en otage et contribuent à détériorer nos relations avec autrui. Remédier à ce réflexe naturel n’a pourtant rien d’évident. Cela suppose un travail sur soi qui consiste à revenir à ce qui s’est vraiment passé et accepter la possibilité d’autres histoires ou interprétations, condition sine qua non pour  rester dans le dialogue et ne pas réagir sur le vif. 

La conversation est prête, régalez-vous ! Dialoguez, échangez, apprenez, débattez… La parole est à vous !